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Les pionnières du yoga ou la conquête d'un interdit

  • Photo du rédacteur: Julie
    Julie
  • il y a 6 jours
  • 5 min de lecture

Le yoga, tel qu'on le connaît aujourd'hui, n'a pas toujours été accessible aux femmes, contrairement aujourd'hui à sa démocratisation majoritairement féminine. Pendant des siècles, cette discipline fut transmise exclusivement d'homme à homme, dans des contextes religieux, ascétiques ou guerriers, et oui spoiler alerte, le yoga n'est pas si pacifiste que ça.

Les femmes n'étaient ni initiées, ni même considérées comme légitimes à pratiquer, et cette exclusion n'était pas anodine : elle reflétait une vision profondément patriarcale de la spiritualité mais aussi du corps, du corps de femme en tant que tel, où seuls les hommes étaient jugés dignes de transcendance. Pour la petite histoire, les menstruations sont un sujets extrêmement tabou encore aujourd'hui en Inde.


Il a fallu attendre le début du XXᵉ siècle pour qu'une poignée de femmes audacieuses brisent cette structure patriarcale établie. Leur combat ne fut pas seulement celui de l'accès à une pratique : ce fut une révolution silencieuse qui allait transformer le yoga pour toujours et paradoxalement, le féminiser au point qu'on oublie aujourd'hui qu'il fut longtemps le domaine réservé des hommes. Je te raconte et te fait le portrait aujourd'hui de cinq souveraines, cinq yoginis source d'inspiration dans la pratique du yoga.



Indra Devi


La première à forcer les portes

Née Eugenie Peterson à Riga en Lettonie en 1899, elle grandit entre la Russie et l’Europe dans un contexte culturel riche et cosmopolite. Eugénie découvre le yoga à travers des lectures sur l’Inde, et sans le savoir cette fascination deviendra une vocation.

Après avoir fui la Révolution russe, elle s’installera en Inde dans les années 1920, où elle devient alors actrice dans le cinéma de Bombay sous le nom d’Indra Devi, un pseudo choisi pour sa résonance spirituelle mais sans lien direct avec le yoga.


En 1937, elle sollicite Tirumalai Krishnamacharya, père du hatha yoga moderne pour devenir son élève, mais la réponse est sans appel : il refuse pour deux raisons, c'est une femme et elle vient d'occident, illégitimité double qui montre bien la mentalité de l'époque. Mais Indra Devi n'a pas dit son dernier mot, elle est une femme tenace, elle insiste, encore et encore et va jusqu'à s'adresser directement au Maharaja de Mysore, qui interviendra personnellement en sa faveur. Le maître cède et accepte de lui transmettre me yoga au palais.

En 1938, Indra Devi devient ainsi la première femme - et la première étrangère - à étudier sous la direction de Krishnamacharya au Palais de Mysore, aux côtés de ceux qui allaient devenir des légendes : B.K.S. Iyengar et K. Pattabhi Jois. fondateurs respectifs des styles Iyengar et Ashtanga yoga.


Hollywood, la glamourisation du yoga

En 1947, Indra Devi quitte l'Inde pour les États-Unis et, l'année suivante, ouvre un studio de yoga à Hollywood, capitale mondiale du glamour et des tendances dernier cri.

Son choix est stratégique et brillant, le yoga est une pratique exotique et plait à la jet sett holywoodienne de l'époque : Greta Garbo, Gloria Swanson, Marilyn Monroe font partie de ses élèves qui déroulent le tapis. Elle fait sortir le yoga de la sphère ésotérique pour l'introduire dans le quotidien des femmes américaines. Ses trois livres, notamment Forever Young, Forever Healthy (1953), rencontrent un succès phénoménal car le yoga porte en lui une promesse de santé, de jeunesse et de bien-être absolu.

Indra Devi démocratise le yoga, le rend accessible, désirable, elle le détache de son contexte religieux indien pour en faire une pratique universelle et accessible. Elle le traduit, l'adapte, le rend compréhensible pour un public occidental qui ne connaît rien aux sutras ou aux textes sacrés et surtout, elle l'offre aux femmes : à leurs corps, à leurs besoins, à leur quête de bien-être dans une époque d'après-guerre où les injonctions féminines sont écrasantes, permanente, omniprésente.

La révolution yoga était en marche...




Les autres pionnières


Une révolution collective Indra Devi n'est pas seule, d'autres femmes, moins connues mais tout aussi essentielles, contribuent à cette transformation qui aujourd'hui invite même à l'étonnement lorsque l'on dit que le yoga n'a pas toujours été une histoire de femmes.


Geeta Iyengar

Fille du célèbre B.K.S. Iyengar mentionné plus haut, elle reprend la direction de l'institut Ramamani Iyengar Memorial Yoga Institute à Pune en 1973, après la mort de sa mère. Discrète, elle travaille dans l'ombre de son père, et quelle ombre car c'est le père du célèbre style Ashtanga yoga. Bien entendu elle gère d'une main de maître l'institution, mais elle est aussi une professeure de yoga exceptionnelle, spécialisée dans l'enseignement du yoga aux femmes, prenant en compte les cycles menstruels, la grossesse, la ménopause, des dimensions complètement ignorées jusqu'alors, un vent de modernité souffle alors sur le yoga traditionnel.


Tao Porchon-Lynch

Elevée en Inde par son oncle, tout comme Indra Devi, découvre le yoga dès son enfance dans les années 1920. Elle enseignera ensuite aux États-Unis quasiment jusqu'à sa mort et devient une figure emblématique de longévité, de vitalité et de joie enseignant jusqu'à plus de 100 ans. Son parcours illustre la continuité et la transmission du yoga par les femmes sur plusieurs générations. On reconnaît facilement Tao, par sa silhouette gracile, son sourire permanent, elle est une figure féminine extraordinaire dans la démocratisation du yoga en occident.


Judith Hanson Lasater

Dans les années 1970, co-fonde la California Yoga Teachers Association, l'Iyengar Yoga Institute de San Francisco, et participe à la création du Yoga Journal, un magazine qui deviendra une référence mondiale. Par ses livres et son enseignement, elle contribue à structurer une communauté professionnelle autour du yoga, à lui donner des normes, une éthique, une formation rigoureuse.



Le yoga un "truc de bonne-femme"

Aujourd'hui, le yoga est perçu comme une pratique presque exclusivement féminine. Cette féminisation est ironique, presque paradoxale, car d'une pratique qui excluait les femmes est aujourd'hui massivement associée à elles. J'entends d'ailleurs souvent "ah mais le yoga c'est un truc de bonne femme"


Alors comment expliquer ce basculement ?

Plusieurs facteurs entrent en jeu, d'abord, le marketing occidental du yoga s'est construit autour d'images de flexibilité, de grâce, de bien-être intérieur avec cette notion new-âge d'union "corps/esprit" très rependue aujourd'hui dans le verbiage holistique. Des qualités traditionnellement codées comme féminines dans nos sociétés, forcément cela allait répondre à une demande. Les magazines, les publicités, les réseaux sociaux ont perpétué cette esthétique : des corps minces, souples, majoritairement féminins, dans des postures élégantes et léchées.

Ensuite, les pionnières comme Indra Devi ont délibérément orientée leur enseignement vers la pratique d'un yoga au féminin. Démocratisation du féminin ? souhait business ? les deux ? l'objectif originel est un autre sujet mais ces femmes pionnières avaient compris intuitivement que le yoga pouvait répondre à des besoins spécifiques : gestion du stress, connexion, déconnexion, dans une société en quête de bien-être dans des vies surchargées par les injonctions domestiques où les femmes n'étaient pas prises en compte, ni écoutées, ni entendues. Le yoga est devenu, dans leurs mains, un outil d'émancipation douce, un espace de souveraineté au corps.


Un héritage complexe et vivant

Les pionnières du yoga ont accompli un exploit remarquable : elles ont pris une pratique qui leur était interdite et l'ont transformée en mouvement planétaire intergénérationnel. Elles ont fait du yoga un phénomène mondial, une industrie de plusieurs milliards de dollars, une référence culturelle omniprésente.

Cet héritage n'est pas sans ambiguïtés, le yoga occidental s'est parfois éloigné de ses racines, devenant un produit de consommation, un accessoire lifestyle déconnecté. Pourtant, l'essentiel demeure : grâce à ces femmes, le yoga est sorti des ashrams pour entrer dans nos maisons, dans des studios, des salles de sport, parcs, écoles, maisons de retraite. Il est devenu une pratique universelle, ouverte à tous les corps, toutes les identités, tous les besoins. Ce que nous ont légué Indra Devi et ses consœurs, ce n'est pas seulement une technique, mais une possibilité : celle de dérouler un tapis, de respirer profondément, de nous reconnecter à nous-mêmes, en toute liberté, car choisir de monter sur le tapis pour Soi est un acte militant et politique. Cette liberté-là, arrachée de haute lutte contre des siècles d'exclusion patriarcale, mérite d'être célébrée, préservée et ne doit pas être oubliée.



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